Josélito Michaud : Un nouveau départ - Chroniques | Coopérative funéraire de l'Outaouais

Josélito Michaud : Un nouveau départ

En quatre mois, son livre Passages obligés s'est vendu à quelque 60 000 exemplaires au Québec, un grand succès de librairie. On connaissait déjà la qualité d'écoute et la sensibilité de Josélito Michaud par ses entrevues à la télé et à la radio. Passages obligés révèle aussi une fine plume et un auteur fasciné par le comportement humain.

D'entrée de jeu, il dévoile l'origine du livre, ses réflexions sur sa vie, sur ses souffrances antérieures, dont celle de quitter sa maison d'accueil et ses amis pour être adopté à l'âge de 5 ans. Au fil des 22 entrevues avec des personnalités connues qui ont vécu un deuil, le lecteur s'engage dans un parcours initiatique où l'auteur cherche des réponses à ses propres questions sur ses deuils personnels non résolus.

C'est un être très chaleureux, généreux et sympathique qui nous a reçu chez lui à Boucherville.


Vous avez interviewé 22 personnes sur le deuil. Avant d'entreprendre ce projet, aviez-vous des appréhensions?

Non, aucune. Je pense que j'ai eu beaucoup d'insouciance en abordant ce projet-là. Les bouddhistes ont une philosophie exceptionnelle de la vie et dans leurs enseignements ils disent : « L'intention détermine le résultat ». Je trouve ça important que les choses partent du cœur, d'une intention véritable. Quand j'ai pensé à faire ce projet, mon intention était extrêmement personnelle et ma volonté première était de comprendre et démystifier le deuil. Je me suis dit : allons voir ce que 22 personnalités qui ont vécu un deuil ont à dire sur le sujet. C'est après coup que j'ai réalisé à quel point les personnalités s'étaient confiées à moi. C'était comme un exutoire d'en parler; j'avais l'impression que ça leur faisait du bien d'être entendu dans ce qui avait été une grande souffrance. Quand je me retrouvais seul avec ma petite cassette d'entrevue, que je conservais précieusement, il m'est arrivé de prendre conscience que je venais de vivre un moment privilégié rempli d'authenticité. Pour moi, c'était comme une marque de confiance que l'on m'accordait, mais il ne fallait pas que je les déçoive. C'était pour moi toute une responsabilité, mais quelque chose de plus grand et plus fort que moi me poussait à mettre au monde ce projet de livre.

Qu'est-ce qui vous étonne le plus de la part des gens qui ont vécu un deuil?

Que finalement, le processus est assez semblable d'une personne à une autre. Les gens passent par des étapes de colère, de déni, de désespoir, d'acceptation et finalement de sérénité. Chacun vit le deuil à sa façon, mais on remarque certaines similitudes. Mais pas toujours dans le même ordre ou pour la même durée. Ça m'a fasciné de voir que quand tu arrives sur le fil de l'émotion, c'est la même souffrance, peu importe ton statut social.

Un jour, Véronique (sa conjointe Véronique Béliveau) qui a beaucoup travaillé avec moi dans ce projet me faisait remarquer que toutes les personnes que j'ai interviewées s'en sont sorties victorieuses. C'est pour ça que le titre de l'ouvrage, Passages obligés, me semble approprié. Au moment où l'on vit les premiers balbutiements d'un deuil, on a souvent l'impression que l'on ne pourra jamais s'en sortir et pourtant...

Comment vous êtes-vous documenté avant de commencer ce projet?

J'ai passé deux mois à lire sur ce sujet, j'ai lu 42 ouvrages sur le deuil. Je voulais tout savoir et je trouvais le sujet fascinant et à la fois enrichissant. Il y avait quelque chose de mystique.

Pour moi, ce qui m'apparaissait le plus important c'était de ne pas imposer ma vision du deuil dans cet ouvrage. Je voulais recueillir des témoignages pour que les gens se reconnaissent là-dedans. Je pense que quand on se retrouve dans cette grande période de solitude, il faut se reconnaître dans la souffrance de quelqu'un qui a vécu une épreuve semblable.

Dans vos entrevues, vous posez des questions qui peuvent surprendre parce qu'elles touchent les gestes intimes et quotidiens de l'endeuillé. Vous demandez à Dominique Bertrand si elle a porté les vêtements de son chum après sa mort et à Françoise Faraldo si elle a gardé longtemps les effets de son chum Gerry Boulet.

Moi, je suis quelqu'un de curieux. Je m'intéresse à l'être humain, à son comportement. Je veux comprendre pourquoi il agit comme il le fait. C'est pourquoi j'ai voulu approfondir mes questions pour bien saisir tous les tenants et les aboutissants du processus du deuil. Dans le deuil, il y a aussi ce qu'on appelle des rites et des rituels, qui disparaissent de plus en plus d'ailleurs. On ne peut pas parler du deuil sans parler des rites et des rituels, c'est indissociable pour moi. Ne pas se départir d'un vêtement du défunt, c'est une forme de rituel qui a une symbolique importante pour l'endeuillé. Il a besoin de cela pour avoir l'impression que la personne décédée nous appartient encore.

Qu'est-ce qui vous a inspiré ces questions?

Dans mon livre, je n'ai pas voulu aborder les aspects plus choquants de la mort de certaines personnes, j'ai voulu m'attarder à l'après : quand on se retrouve seul face à l'absence, celle qui est souvent insoutenable dans les débuts. J'ai voulu me concentrer uniquement sur l'émotion, sur le deuil proprement dit, et surtout sur les gestes que l'on pose au quotidien pour en arriver à vivre sans l'autre et avancer dans sa vie. C'est précisément cela qui me préoccupait.

Vous avez abordé la question des rituels. Comment voyez-vous le rôle des rituels dans le déroulement du deuil?

C'est capital. Et aujourd'hui, ce qui fait que le deuil semble interminable pour certains, c'est que nous avons abandonné la notion de rituels. Aujourd'hui, les maisons funéraires jouent davantage un rôle d'accompagnant dans les rituels. Il y a d'ailleurs des maisons funéraires qui offrent des services d'accompagnement après le décès.

Je pense que les rituels sont essentiels au bon déroulement du deuil, à preuve, Marie Eykel le mentionne dans le livre lorsqu'elle dit « Moi je ne croyais pas aux rituels, mais finalement, c'est ce qui m'a aidé ». On a décidé qu'on ne voulait plus de la religion catholique et on a rejeté les rituels qui y étaient rattachés. Je pense qu'on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Ça, c'est une erreur. On peut choisir de ne plus adhérer à une religion, mais on ne doit pas laisser tomber tout ce qui va avec. Il y a de belles choses dans la religion catholique. J'ai étudié ce qui se fait en Argentine, aux Philippines et ailleurs, et plus que jamais les peuples ont des rituels qu'ils exécutent avec respect et fidélité, qui rendent plus vivable la traversée du deuil. Souvent, ces peuples éprouvent un grand respect pour leur ancêtre, ce qu'on n'a pas ici en Amérique du Nord.

Croyez-vous que le temps passé au salon funéraire par la famille est important?

Oui, j'ai reçu beaucoup de témoignages de gens qui vont dans ce sens. Dans ma tournée de librairies, j'ai fait au-delà de 3000 dédicaces et les gens m'ont confié beaucoup de choses; ce que je retiens de ces témoignages, c'est que les choses se passent souvent trop vite. Dans notre société de consommation, il n'y a pas de place pour exprimer la peine que l'on ressent à la suite du départ de quelqu'un; là aussi on doit vivre notre deuil à toute vitesse. Ce n'est pas le temps passé au salon qui compte, mais plutôt le fait de laisser la place pour vivre pleinement ce que l'on ressent. Il faudrait prévoir un lieu et un temps pour exprimer nos sentiments et pour permettre à l'entourage de le faire aussi. Les salons funéraires sont un lieu de rassemblement par excellence. Autrefois, on veillait au corps trois jours dans la maison, les endeuillés s'habillaient en noir. Tout le monde autour voyait que ces gens-là souffraient. On ne voit plus la souffrance, elle n'est plus apparente. Je trouve ça beau ces rituels-là, de voir qu'on identifiait les souffrants. Aujourd'hui, trois jours plus tard au bureau on se dépêche à parler d'autre chose. Il y a une telle rapidité à vouloir passer à autre chose. Mais j'ai compris que le deuil des autres nous confronte à notre propre mort. On élimine les rituels car ils nous rappellent qu'on va mourir nous aussi. C'est la justice ici-bas.

Lors des séances de dédicaces, vous prenez le temps de parler individuellement avec chaque personne. Certains repartent les larmes aux yeux. Que vous disent les gens qui vont vous rencontrer dans ces événements?

À partir du moment où on se prête aux jeux des dédicaces, il m'apparaissait indispensable de se donner totalement et le public me le rend bien. C'est comme si le public sentait qu'il a une oreille pour l'écouter et il sentait une certaine forme de permission de parler librement de que ce qu'il ressent. Je me sens privilégié de recevoir autant de confidences.

Parfois, c'est quand même un peu lourd à porter. Tantôt, je suis allé dans un restaurant et quelqu'un m'a abordé en me parlant de sa peine d'avoir perdu sa mère. Je comprends tellement la peine des autres parce que j'éprouve beaucoup d'empathie pour l'autre mais je n'ai pas forcément la solution à tous les maux : j'ai un peu le sentiment d'être utile aux autres.

La publication de votre livre vous a donné ce sentiment?

Ça m'a donné le sentiment que quand je vais mourir, j'aurai l'impression d'avoir fait quelque chose de ma vie. Je pense que notre passage sur terre doit servir à grandir et faire grandir. On est beaucoup plus utile que ce que l'on pense dans l'évolution de la planète. Chacun de nous a une mission dans la vie.

C'est plus important que la radio, la télé?

Ce n'est pas comparable. L'intimité avec un livre est telle qu'on ne peut retrouver cette impression à la radio ni à la télé. J'ai la profonde conviction que ce livre-là m'a donné le droit d'être ce que je suis : un être sensible qui parle avec son cœur...

Il est certain que je vais revenir à la radio et la télé, mais je vais revenir différemment. J'étudie des offres qui vont dans ce sens.

Comment expliquez-vous le succès de votre livre?

Je ne sais trop et surtout je suis très mal placé pour le décortiquer; il faudrait plutôt demander aux lecteurs et aux lectrices. Mais, je crois que de voir des gens connus qui sont au même pied d'égalité que le public quand ils souffrent, ça ramène l'humanité au premier rang. Je crois que le livre a permis de parler du deuil, un sujet tabou, et de le mettre au centre de débats sur la place publique. Ça, c'est ma plus grande satisfaction.

Mais je n'ai pas l'intention d'en faire un filon que je vais exploiter. C'est une démarche intime et personnelle pour comprendre et démystifier le deuil; il n'y aura pas de tome II.

Ce livre est simple dans le fond : c'est mon parcours initiatique qui est clairement énoncé dans mon avant-propos où je dévoile certaines de mes souffrances et les quêtes pour parvenir aux réponses que je me pose depuis toujours.

La douleur du deuil est finalement très universelle Oui. C'est comme si soudainement quelqu'un qui n'est pas connu avait le droit de souffrir comme quelqu'un qui est connu.

Avez-vous l'impression que les gens qui ont vécu un deuil vivent une pression trop grande pour passer à autre chose?

Mon Dieu oui! On n'a pas le goût d'en entendre parler. Je suis allé dans des salons funéraires récemment pour soutenir des proches. J'ai observé ce qui se passait. J'ai entendu des gens dire « Cet été on t'appelle Ginette, il faut que tu viennes au chalet. », mais la vérité, c'est que tu n'as pas le goût d'avoir Ginette au chalet. Tu ne souhaites pas qu'elle vienne casser ton party! La réalité, c'est qu'on ne souhaite pas être entouré de gens qui souffrent.

Ce que les gens viennent me dire c'est « Josélito, on vient mal de parler de ça. Mais moi j'ai besoin d'en parler et je ne peux pas avoir l'écoute que je veux, les gens ne savent plus quoi nous dire. Ou les gens nous disent Reviens-en! » Il y a une pression sur les endeuillés pour qu'ils ne montrent plus leur douleur.

Et puis il y a une espèce de hiérarchie au niveau du deuil. Les gens se font demander « Tu as perdu qui toi? Ton conjoint? Ça doit être difficile. Ta mère? Quel âge avait-elle? 85? Tu devais t'y attendre un peu. » Mais ça n'a rien à voir! C'est l'attachement que tu as qui détermine la durée de ton deuil.

Dans votre entrevue avec Marie Fugain qui a perdu sa sœur, elle mentionne d'ailleurs sa frustration de toujours se faire demander comment vont sa mère et son père.

Il y a une hiérarchie dans la tête des gens : on souffre plus de perdre son enfant que de perdre sa sœur. Les gens ne voyaient pas sa souffrance à elle, ils ne voyaient que la souffrance des parents.

Cela dit, c'est évident que la mort d'un enfant, c'est une souffrance horrible, celle que j'ai le plus de mal à comprendre et à expliquer.

Est-ce que vous parlez de la mort avec vos proches?

Non, je parle plutôt de la vie, du temps qui passe et qui ne reviendra jamais. Quand je suis bien avec quelqu'un que j'aime je lui dis « Si je meurs tout à l'heure, sache que je t'ai aimé profondément ». Ça, je ne le faisais pas avant. Et puis, l'autre chose que je n'ai jamais réussi à faire dans ma vie, c'est de vivre au présent. J'ai été agent d'artiste pendant 15 ans. C'est un métier où il faut avoir de la vision. Alors, je me projetais constamment dans le futur, tout en étant hanté par le passé. Je n'étais jamais dans le temps présent.

Je n'ai jamais été aussi vivant que maintenant. Je pense que ma transition vers la mort va être meilleure. Quand ça va arriver, j'aurai un plus grand sentiment d'accomplissement.

En quoi l'écriture de ce livre a-t-elle mis un baume sur vos cicatrices?

Ça m'a fait prendre conscience que je ne peux rien faire sur le passé. C'est sûr que le petit Josélito de cinq ans qui a dû quitter sa grande Suzanne a encore de la souffrance. Mais il a aussi compris beaucoup de choses. C'est surprenant de voir qu'un enfant de cinq ans peut être aussi lucide et se rappeler avec autant de précision ce qui lui est arrivé. Et j'ai écrit ce livre au moment où mon fils fêtait ses cinq ans. Ironie du sort ou simple coïncidence, je ne sais trop.

Votre fils et votre fille ont été abandonnés, comme vous (sa conjointe et lui ont adopté deux enfants au Vietnam). Vous avez porté longtemps une cicatrice de l'abandon. Est-ce que vous vous préparez à répondre à leurs questions sur leur adoption?

C'est déjà commencé. La comédienne Guylaine Tremblay avait dit à ses filles adoptées « Je ne vous ai pas portées dans mon ventre, mais je vous ai portées dans mon cœur. » On a repris cette phrase avec nos enfants.

Mon fils ne veut pas entendre parler du fait qu'il a été adopté. J'ai compris que ce n'est pas le temps d'en parler. Mais je pense que mon fils a été plus marqué que ma fille par l'abandon. D'ailleurs, je ne dois pas lui dire « Je vais partir ». Je dois trouver d'autres mots comme « Je reviens tout à l'heure mon chéri. »

Quels sont vos projets en lien avec le deuil?

Il y aura Passages obligés en version adaptée pour la France, avec des personnalités françaises, qui devrait paraître au cours de la prochaine année.

J'ai entendu des centaines et des centaines de témoignages de gens sur le deuil. J'aurais le goût de présenter à l'écran des endeuillés qui ne sont pas connus. Il y a de belles histoires là-dedans : comment ils s'en sont sortis, comment ils ont transcendé leur peine. Donc, il est de plus en probable que le sujet du deuil se retrouve à la télévision pour une série précise sous une forme documentaire que je vais produire et présenter quelque part au cours de la prochaine année.

De toutes ces rencontres que j'ai faites au cours des derniers mois de promotion à travers le Québec, ce que je trouve beau, c'est de voir comment les gens se sortent de leurs souffrances et reprennent goût à la vie après avoir pensé ne jamais pouvoir le faire. Il y a une force qui sommeille et qui ne demande qu'à se déployer au moment opportun. La vie est belle et vaut la peine d'être vécue.

Entrevue et texte : France Denis
Photo : François Lafrance
Publié dans la revue Profil - Automne 2006

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